Entre lieu et non-lieu: hétérotopie insulaire chez Axel Gauvin

Evoquant incontestablement le charme d’une distance sublimante, l’île semble toujours avoir attisé la curiosité du continent qui l’envisage, tour à tour, comme un fragment isolé, arraché du monde par des eaux belliqueuses, ou comme un microcosme autonome et utopique. Mais qu’en est-il du regard de l’ilien ? Partage-t-il cette vision polarisée, ou vient-il remettre en question un éloignement et un isolement inhérents à la perception continentale des îles, tout comme le suggère the sea of islands d’Epeli Hau’ofa? Que l’île exacerbe la distance ou la dissolve, cette thématique n’en reste pas moins centrale à toute discussion autour de l’iléité. Comment celle-ci se manifeste-t-elle dans une île française de l’Océan Indien à la fois DOM, RUP, postcoloniale, post-esclavagiste et postdépartementale, et dont les littératures ressassent de façon lancinante ou sporadique les topoï du malaise, de l’oubli et de la quête identitaire ? Du fait d’un contexte historique qui problématise la possibilité d’ancrage dans une île perçue comme un fardeau imposé par la traite, l’île de la Réunion se profile en effet dans les œuvres littéraires à la fois comme un lieu et un non-lieu.
A la lumière de l’hétérotopologie de Michel Foucault, nous nous proposons d’examiner le rapport qu’entretiennent l’île et l’îlien dans deux des cinq romans en français de l’auteur réunionnais Axel Gauvin : L’aimé (1990) et Cravate et fils (1996). Après avoir contextualisé notre étude, nous poursuivrons par l’analyse d’un espace-microcosme particulièrement révélateur de ce rapport : l’hôpital de Saint Denis, chef-lieu du département. Par inférence métonymique, nous verrons en quoi l’île devient ainsi la manifestation privilégiée d’un espace hétérotopique entre lieu et non-lieu.